Thursday, November 19, 2015

Prière d'un petit enfant nègre

Seigneur, je suis très fatigué.

Je suis né fatigué.
Et j'ai beaucoup marché depuis le chant du coq
Et le morne est bien haut qui mène à leur école.
Faites, je vous en prie, que je n'y aille plus.
Quand la nuit flotte encore dans le mystère des bois
Où glissent les esprits que l'aube vient chasser.
Je veux aller pieds nus par les rouges sentiers
Que cuisent les flammes de midi,
Je veux dormir ma sieste au pied des lourds manguiers,
Je veux me réveiller
Lorsque là-bas mugit la sirène des blancs
Et que l'Usine
Sur l'océan des cannes
Comme un bateau ancré
Vomit dans la campagne son équipage nègre...
Faites, je vous en prie, que je n'y aille plus.  
 
 
Pour qu'il devienne pareil 
Aux messieurs de la ville 
Aux messieurs comme il faut. 
Mais moi, je ne veux pas 
Devenir, comme ils disent, 
Un monsieur de la ville, 
Un monsieur comme il faut.
Où sont les sacs repus 
Que gonfle un sucre brun autant que ma peau brune. 
Je préfère, vers l'heure où la lune amoureuse 
Parle bas à l'oreille des cocotiers penchés, 
Ecouter ce que dit dans la nuit 
La voix cassée d'un vieux qui raconte en fumant 
Les histoires de Zamba et de compère Lapin, 
Et bien d'autres choses encore 
Qui ne sont pas dans les livres.
Pourquoi faut-il de plus apprendre dans des livres 
Qui nous parlent de choses qui ne sont point d'ici ?
Triste comme 
Ces messieurs de la ville, 
Ces messieurs comme il faut 
Qui ne savent plus danser le soir au clair de lune 
Qui ne savent plus marcher sur la chair de leurs pieds 
Qui ne savent plus conter les contes aux veillées.



Seigneur, je ne veux plus aller à leur école,
Je veux suivre mon père dans les ravines fraîches
Seigneur, je ne veux plus aller à leur école, 
Ils racontent qu'il faut qu'un petit nègre y aille 
Je préfère flâner le long des sucreries 
Les nègres, vous le savez, n'ont que trop travaillé. 
Et puis elle est vraiment trop triste leur école, 
Seigneur, je ne veux plus aller à leur école !

-Guy Tirolien

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